Prologue
Tout commença par un combat.
Il se déroula à une époque très lointaine où la paix, bien que fragile, n’avait jamais été brisée. Pourtant ce jour fut le début de la fin, et l’équilibre le plus fondamental fut détruit.
Le combat eut lieu dans un endroit débordant de magie qui flottait dans le néant et qui baignait dans un crépuscule éternel. Des étoiles brillaient dans la pénombre violacée comme un nuage de poussière illuminé et les trois Mondes au loin envahissaient l’horizon. Rougaïs ressemblait à une petite braise incandescente, Meturne était la plus grande, comme un ballon coloré, entourée de ses six lunes étranges, et la Terre était recouverte d’un blanc et d’un bleu presque parfaits qui, bientôt, ne le seraient plus.
La plupart des Anges appelaient cet endroit la prairie, car il était immense et rempli de fleurs comme un champ aux mille couleurs et au parfum enivrant. Elles étaient de toutes formes, mais ne dépassaient que rarement la hauteur de leurs genoux. D’autres l’appelaient le cimetière pour les stèles et sculptures couleur ivoire disposées là sans logique et représentant des hommes, des femmes, des animaux et bien d’autres créatures mystérieuses.
Le seul élément plus imposant que les statues était le chêne sur le rebord de la prairie. Son tronc imposant permettait de loger une maison entière et ses branches tellement feuillues poussaient si haut que l’horizon au loin disparaissait derrière. Mais tout cela n’était qu’une infime partie en comparaison de ses racines. L’une des moitiés s’agrippait dans la terre, l’autre formait comme une toile complexe qui pendait dans le néant à la recherche d’une accroche.
Les Anges se tenaient nus et immobiles avec leurs ailes de plumes laiteuses repliées dans leur dos. Tous les regards étaient tournés vers le centre de la clairière. Tous avaient les yeux rivés d’effroi sur la source. D’habitude, l’eau s’écoulait lentement à travers les rivières et tombait dans le vide en cascade sans fin, mais ce jour, elle montait vers le ciel telle une colonne bleutée.
Pour la première et dernière fois, il plut sur la prairie. Le jet d’eau disparaissait en milliers de gouttes et il finit par laisser apparaître une femme et un homme.
Ils se défiaient du regard, silencieux.
Et soudain, ils attaquèrent. De la magie à l’état pur sortit de leurs doigts, tels des éclairs de lumière qui se rencontrèrent et éclatèrent en une gerbe d’étincelles. Le calme de la prairie vira au chaos et les Anges prirent part au combat, défendant l’homme ou la femme.
Les sortilèges se déchaînèrent.
L’affrontement dura des heures, et les charmes fusaient de toutes parts, dangereux et mortels, détruisant les fleurs et les statues. Les Anges mouraient un à un, explosant dans un nuage de poussière en poussant un dernier cri.
Il ne semblait y avoir aucune issue à ce conflit, mais la femme canalisa dans ses mains sa magie la plus puissante. Elle lança un éclair si épais et si large que l’homme ne put le dévier qu’au dernier moment en utilisant ses dernières forces. Mais l’éclair poursuivit sa course, brûlant tout sur son passage, et des dizaines d’Anges périrent sans freiner le sortilège redoutable. Il s’arrêta quelques mètres avant le chêne, mais la puissance était telle que le sol craqua dans un bruit atroce qui résonna dans la prairie. L’arbre bascula et sombra dans le néant.
La femme continua et l’homme ne put rien faire.
Le combat prit fin. Un autre sort fusa de la main de la femme comme une flèche noire. Il transperça le cœur de l’homme qui s’effondra en arrière, s’allongeant presque avec douceur sur les plantes qui formèrent son linceul.
Tous les Anges cessèrent leurs attaques, se tournèrent vers le blessé, et le silence soudain plongea le lieu dans une atmosphère pesante.
Personne ne disait mot. L’homme essaya de se relever et s’agenouilla, luttant une dernière fois pour survivre. La femme s’approcha, lança le sort fatal et le calme s’évapora. L’homme poussa un cri puissant, terrible, et le hurlement résonna et perdura dans l’air avec une dissonance terrifiante. Les Anges se protégèrent les tympans au son de cette horrible agonie, mais la femme resta insensible et stoïque face à son ennemi qui se craquela.
Le cri s’étouffa au moment même où sa chair ne devint plus que poussière, explosant dans une ultime note. Son corps désagrégé s’envola au gré du vent tandis que son esprit était chassé de la prairie.
La femme pensait avoir gagné, mais elle venait de rompre le plus important des équilibres, et ce combat marquait le début de la fin.